Cahier d'un retour au pays natal : Aimé Césaire
Publié le 6 Avril 2018
Je suis de celle qui aime à enrichir leur culture littéraire aux regards d'écrivains qui ont marqué leur siècle par un investissement sans failles pour faire jaillir leur droit à vivre à égalité avec les autres. Aimé Césaire signe un poème magnifique, poignant et en clin de toutes les vérités sur des hommes déracinés qui désirent retourner dans leur pays d'origine.
Ce poème est une quête initiatique parfumée au spirituel et arrosé à la quête de soi. Dans ce poème, il joue avec les mots et chahute les idées reçues d'un paradis sur terre. La structure du texte n'est comparable à aucune autre : le lecteur passe de la prose aux vers, aucune séance ne ressemble à aucune autre, pas de séparation. Le voyageur des mots s'embarque dans la course folle de ce naufragé de la vie qui recherche l'essence même de sa vie.
La préface de André Breton définit à elle-seule la recherche narrative et libératrice de la poésie par sa décontraction.
Je me suis grillée aux pages poignantes, j'ai cherché l'ombre des bananiers pour reposer mon esprit chamboulé. Un texte à savourer comme un vieux rhum protégé du soleil par un palmier.
Au bout du petit matin, l'extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux; les martyrs qui ne témoignent pas; les fleurs du sang qui ne fanent et s'éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards; une vieille vie menteusement souriante, ses lèvres ouvertes d'angoisses désaffectées; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement; un vieux silence crevant de pustules tièdes, l'affreuse inanité de notre raison d'être.
Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s'élève, des fidélités trahies, du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d'Europe...
Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
L'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer-parfaitement le tuer- sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot?
Des mots?
Ah oui, des mots!
Raison, je te sacre vent du soir.
Bouche de l'ordre ton nom?
Il m'est corolle du fouet.
Beauté je t'appelle pétition de la pierre.
Mais ah! la rauque contrebande
de mon rire
Ah! mon trésor de salpêtre!
Parce que nous vous haïssons vous et
votre raison, nous nous réclamons de la
démence précoce de la folie flamboyante
du cannibalisme tenace
Trésor, comptons :
la folie qui se souvient
la folie qui hurle
la folie qui voit
la folie qui se déchaîne
Et vous savez le reste
que 2 et 2 font 5
que la forêt miaule
que l'arbre tire les marrons du feu
que le ciel se lisse la barbe
et caetera et caetera...