Sur les chemins noirs : Sylvain Tesson

Publié le 11 Mars 2017

Sur les chemins noirs : Sylvain Tesson

Un drame, une chute dont Sylvain Tesson essaie de se remettre en parcourant la campagne française. Lui le bourlingueur doit réapprendre à vivre. 

 

 Sylvain Tesson arpente les chemins buissonniers de cette France trop civilisée. Il a besoin de se retrouver, d'accepter sa différence, de remettre son corps et ses pensées sur le droit chemin. Cependant, un artiste brûlant la vie à travers une consommation d'alcool, ne peut décemment pas employer les chemins goudronnés par les hommes. Il se cherche une nouvelle spiritualité, un retour à son moi profond.

 

 A travers sa quête initiatique, Sylvain Tesson dévoile un pan de la carte géographique française insoupçonné. Il suit des chemins serpentés, gravit des monts et des montagnes encombrés de ronces. 

 Cette symbolique de la nature envahissante rejoint toute la sémantique de son esprit embrumé par des années de dilettante.

 

 Envie de se promener par les chemins abandonnés, t'utiliser des chemins détournés pour comprendre l'esprit cabossé de Sylvain Tesson, c'est ici que débute votre quête initiatique !

 Certains effectuent le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en quête de spiritualité, d'autres retrouvent le moi profond et la sérénité de leur esprit dans un pèlerinage vers eux-mêmes.

Ma mère était morte comme elle avait vécu, faisant faux bond, et moi, pris de boisson, je m'étais cassé la gueule d'un toit où je faisais le pitre. J'étais tombé du rebord de la nuit, m'étais écrasé sur la Terre. Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J'étais tombé sur un tas d'os. Je regretterais longtemps cette chute parce que je disposais jusqu'alors d'une machine physique qui m'autorisait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence ressemblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous les voyants d'alerte sont au rouge mais la machine taille sa route et le moindre Cassandre à gueule d'Idiot qui agite les bras en travers de la piste pour annoncer la catastrophe est écrasé menu. La grande santé? Elle menait au désastre, j'avais pris cinquante ans en huit mètres.

Un rêve m'obsédait. J'imaginais la naissance d'un mouvement baptisé confrérie des chemins noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse, les chemins noirs pouvaient aussi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l'époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-mêmes, composeraient une cartographie mentale de l'esquive. Il ne s'agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l'outrecuidance de le changer. Non! Il suffirait de ne rien avoir en commun avec lui. L'évitement me paraissait le mariage de la force avec l'élégance. Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs : ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d'armes, ses goûts, ses écoeurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement étudié l'existence statistique: En somme, se détourner: Mieux encore ! disparaître. "Dissimule ta vie", disait Epicure dans l'une de ses maximes (en l'occurrence c'était peu réussi car on se souvenait de lui deux millénaires après sa mort). Il avait donné là une devise pour les chemins noirs.

(...) Une seule chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi et battre la nature. Il y avait encore des vallons où s'engouffrer le jour sans personne pour indiquer la direction à prendre, et on pouvait couronner ces heures de plein vent par des nuits dans des replis grandioses.
Il fallait les chercher, il existait des interstices.
Il demeurait des chemins noirs.
De quoi se plaindre ?

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Rédigé par toujoursalapage

Publié dans #challenge

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