Va et poste une sentinelle : Harper Lee
Publié le 2 Janvier 2016
Retour d'une jeune femme américaine dans le Sud de l'Amérique.
Jean Louise vient rendre visite à sa famille du sud des Etats-Unis. Elle rejoint le cocon douillet qui l'a protégé durant toute son enfance. Elle a vécu de purs moments de bonheurs, entourée de son père, de son frère et d'un ami. Sa mère est morte durant sa prime enfance. Mais l'amour promulgué par une nounou noire et un père blanc a enrichi cette enfant face à la vie.
Cependant les années ont passé et la réalité resurgit. La scène se situe en 1950 en période de haine raciale. Jean Louise se trouve confronté à son présent et apprend médusée que son monde idyllique s'est effondré. Les idoles de son enfance se déchirent. Les blancs affrontent les noirs et chacun regarde avec défiance son ami d'hier.
Ce roman s'arcboute sur la déconstruction de l'enfance. Tous les symboles de l'amour multiracial volent en éclat. La guerre est déclarée. Les fondements de la famille vacillent sur des questions politiques. Jean Louise assiste, cachée, à une réunion du conseil des citoyens qui réduit les Noirs à des sous-hommes. Cette vision la rend littéralement malade. Elle hait son père et Hank qui symbolisaient des piliers solides de sa construction personnelle.
Un roman puissant qui redessine les fondements de l'Amérique profonde enclin à une haine raciale dictée par des idéologies politiques.
Ce roman initiatique redéfinit le complexe d'Oedipe dans l'Amérique des années 50. Une petite histoire familiale qui se plie aux règles de la Grande histoire.
Le livre a été publié seulement en 2015 mais attendu depuis un demi-siècle. Cet ouvrage est considéré comme son second livre mais la vérité en est tout autre : il a été écrit avant "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" (dont je ferai une chronique plus tard).
Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'auteur, laissez-vous porter par l'accent du sud de l'Amérique!
- Je ne vois pas de quoi tu parles, Jean Louise. Il y a beaucoup de choses vraies dans ce livret.
- Oh ça oui, pour sûr, dit Jean Louise d'un ton sarcastique. J'aime surtout le passage où il explique que les nègres, Dieu ait pitié de leur âme, sont par définition inférieurs à la race blanche parce que leur crâne est plus épais et leur cervelle plus creuse - si tant est qu'un charabia veuille dire quelque chose - et que nous devons par conséquent être très gentils avec eux et les empêcher de se faire du mal à eux-mêmes et veiller à ce qu'ils restent bien à leur place. Bonté divine, Tatie...
La seule chose qu'elle savait, c'était qu'elle avait pitié de tous ces jeunes gens de son âge qui passaient leur temps à râler contre leurs parents, à leur reprocher de ne pas leur avoir donné ceci et de les avoir privés de cela : pitié de toutes ces matrones vieillissantes qui, après un long travail d'analyse, découvraient que le siège de leurs angoisses était celui-là même sur lequel elles étaient assises ; pitié de tous ces gens qui appelaient leur père "mon vieux", esquissant ainsi à demi-mot le portrait d'une créature vulgaire impotente et probablement alcoolique qui, à un moment ou un autre, avait déçu ses enfants de manière cruelle et impardonnable.
Elle était très prodigue de sa pitié, et très satisfaite de son univers douillet.
Vous ne me croirez pas, mais je vous l'assure : jamais de toute mon existence, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai entendu le mot "nègre" prononcé par un membre de ma famille. Jamais je n'ai appris à penser "les nègres". J'ai grandi entourée de Noirs, mais c'était Calpurnia, Zeebo l'éboueur, Tom le jardinier, et tous les autres. Il y avait des centaines de Noirs autour de moi, c'étaient eux qui travaillaient dans les champs, qui ramassaient le coton, qui réparaient les routes, qui sciaient le bois avec lequel nous construisions nos maisons. Ils étaient pauvres, ils étaient sales et ils avaient des maladies, certains étaient fainéants, indolents, mais jamais, pas une seule fois, on ne m'a donné à croire que je devais les mépriser, les craindre, leur manquer de respect, ou que je pouvais me permettre en toute impunité de les maltraiter. Ils ne sont jamais, en tant que groupe, entrés dans mon univers, pas plus que je ne suis rentrée dans le leur : quand j'allais à la chasse, jamais je ne m'aventurais sur les terres des Noirs, non pas parce que c'étaient leurs terres, mais parce que je n'étais pas censée m'aventurer sur les terres de qui que ce soit. On m'a appris à ne jamais exploiter les gens moins fortunés que moi, qu'ils soient moins fortunés en termes d'intelligence, de richesse ou de statut social; et cela s'appliquait à tout le monde, pas seulement aux Noirs. On m'a fait comprendre que tout manquement à cette règle était méprisable. Voilà comment j'ai été élevée, par une femme noire et un homme blanc.