Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier: Patrick Modiano
Publié le 5 Avril 2015
Un "Modiano" dans mes mains!
Je ne pouvais rester inculte quand un auteur reçoit le prix Nobel de littérature.
Durant une après-midi ensoleillée, Daragane, un écrivain retranché dans sa solitude, est tiré de ses pensées par le son strident de son téléphone. Son carnet d'adresses a été rerouvé dans un café de gare. Le jeune homme au bout du fil insiste lourdement pour rencontrer cet ancien auteur.
Contraint d'accepter ce rendez-vous, Daragane se sent pris au piège de son passé. Le couple qu'il rencontre désire percer le mystère d'un meurtre datant de plus de vingt ans.
De quelle manière, Daragane est témoin ou responsable de ce meurtre? Le carnet contient des noms apparaissant dans le rapport d'enquête. Quels sont les souvenirs de cet auteur?
Patrick Modiano base l'intrigue dans les rues de Paris et de ses environs, mais aussi dans les méandres de l'oubli ou de l'amnésie. Un enfant déambule dans son passé par le biais de phrases entendues, de rencontres insolites et de promenades anodines. Cet enfant, élevé par une strip-teaseuse ou acrobate et accompagné par des hommes de la nuit, devient un écrivain. L’absence de souvenir devient un personnage aussi déroutant que ces images fugaces qui peuplent la mémoire de Daragane.
Certains considèreront que la rencontre de l'auteur avec son passé est maladroite, pas aboutie. Le lecteur reste sur sa faim. Il manque un dénouement plausible qui amène le lecteur à une compréhension réaliste de cette divagation.
Cependant, une divagation sur son passé n'est-elle pas vouée immanquablement à l'échec ? Les souvenirs sont souvent auréolés de sentiments trompeurs, de situations modifiées par notre sensibilité. Un retour sur son passé s'arrête, tronqué par un évènement du présent, d'où cette fin brutale et déconcertante. Mais ne révélons pas le stratagème exploité par Patrick Modiano.
Ce roman transcende la mélancolie des années qui fuient. Le narrateur est étouffé par son passé qu'il a enfoui dans les catacombes de son subconscient. Il refoule toute sentimentalité à l'égard de cette femme emblématique, sa mère, sa sœur, une femme de l'ombre. Sa vision est floutée.
Le narrateur vit avec cette angoisse de découvrir le cadavre dans le placard. Néanmoins, Patrick Modiano signe de nouveau un roman qui paralyse le lecteur et le force à se souvenir qu'un cadavre attend peut-être derrière votre porte.
La seule chose qui l'avait préoccupé après la perte du carnet c'était d'y avoir mentionné son nom à lui, et son adresse. Bien sûr, il pouvait ne pas donner suite et laisser cet individu attendre vainement au 42, rue de l'Arcade. Mais alors, il resterait toujours quelque chose en suspens, une menace. Il avait souvent rêvé, au creux de certains après-midi de solitude, que le téléphone sonnerait et qu'une voix douce lui donnerait rendez-vous. Il se rappelait le titre d'un roman qu'il avait lu : Le Temps des rencontres. Peut-être ce temps-là n'était-il pas encore fini pour lui. Mais la voix de tout à l'heure ne lui inspirait pas confiance. A la fois molle et menaçante, cette voix. Oui.
[...] Souvent, au cinéma, il fermait les yeux. Les voix et la musique d'un film étaient pour lui plus suggestives que l'image. Il lui revenait à l'esprit une phrase du film de ce soir-là, dite d'une voix sourde, avant que la lumière ne se rallume, et il avait eu l'illusion que c'était lui-même qui la prononçait : "Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre."
Daragane notait au fur et à mesure les paroles du docteur dans son carnet. C'était comme s'il allait lui dévoiler le secret de ses origines, toutes ces années du début de la vie que l'on a oubliées, sauf un détail qui remonte parfois des profondeurs, une rue que recouvre une voûte de feuillage, un parfum, un nom familier mais dont vous ne savez plus à qui il appartenait, un toboggan.