La maîtresse au piquet : Jean Anglade
Publié le 13 Janvier 2015
Y a quelqu'un qui m'a dit de lire
"La maîtresse au piquet" de Jean Anglade
Frédérique, dit Frédo, ne supporte plus sa vie d'institutrice à Paris. Elle reconnaît avec facilité qu'elle a apprécié de travailler dans des ZEP. Mais Paris et ses problèmes ne lui correspondent plus. Un amour déçu s'additionne à son désarroi et sa dépression. Elle décide de fuir la capitale et de rejoindre l'Auvergne.
C'est auprès des Ruraux, au cœur de la campagne qu'elle redonne un sens à sa vie. Son dévouement touche ses nouveaux voisins. Elle découvre la christianisation secrète d'une musulmane. Elle côtoie des anciens collaborateurs durant le nazisme. Elle reprend goût à l'enseignement face à des enfants. Frédo rencontre l'amour à travers les attentions de Vincent, qui devient très vite son élève docile qui s'initie à la lecture. Ce jeune mécanicien accompagne Frédo durant une dure épreuve qui la frappe.
Ce roman est une plongée dans le monde de l'enseignement dans les campagnes. Jean Anglade, ancien professeur, ne se trompe pas sur son sujet et exprime la véracité des difficultés rencontrées durant les heures de classe.
Il dispense au fil des pages des anecdotes sur l'Auvergne. Cet auteur s'accapare des sujets d'actualités tels que le racisme, l'homosexualité, la violence...
Ce roman possède des longueurs qui permettent au lecteur de s'imprégner du bonheur de vivre paisiblement sur cette région d'accueil.
La lecture est aisée. Les références littéraires sont un joli clin d’œil à un modèle d'enseignement en dehors de l'école. Un adulte peut découvrir la lecture à travers un sujet qui lui plait. L'ouverture d'esprit s'opère de manière douce et délicate. Le lecteur perçoit un accompagnement didactique à travers la musique (la clarinette) et l'écriture.
Tu sais : les ailleurs ne sont que des ici déplacés
Le soir de ce même jour, quand mes petits Auvergnats furent sortis, je retins mes gitans afin de leur donner ma première leçon de lecture. Pour ce, j'écrivis au tableau noir les six lettres majuscules du mot : "NOMADE". Je l'avais choisi parce qu'ils le connaissaient bien. Nous passâmes successivement du tout aux parties, et des parties au tout. Leur ayant fait dessiner ces lettres sur petits cartons, je donnai la prononciation de chacune. Puis, nous en composâmes d'autres mots : "DAME", "MODE", "ANE", "MON", "MA", "NOM"... Après une demi-heure de ces exercices, ils repartirent enrichis de ces six lettres qui sonnaient dans leur tête comme des chevrotines dans des grelots.
Étrangement, les seules difficultés scolaires proviennent d'enfants de souche gauloise. Souvent engendrés à la sauvette par de malheureuses filles de la DDASS qui se soucient moins d'eux que de leur canari. Sans pères connus, sans grands-parents, sana mères dignes de ce nom. Affligés de demi-frères et de demi-sœurs. Ils explosent à l'école en violences contre les copains, contre les maîtres, contre le matériel. Quand ils rencontrent chez eux, personne ne les reçoit, excepté le susdit canari. Ils se nourrissent de ce qu'ils trouvent dans le buffet et retournent à la rue jusqu'à la nuit tombée. Et au-delà. Et moi, naïve joueuse de clarinette, je m'efforce de rallier ces enfants disparates. Comme le preneur de rats et souris de la légende germanique ralliait au son de son fifre tous les gosses de Hameln. Et de les emmener, non point se jeter dans l'Allier ni la Weser, mais s'abreuver aux sources de la culture.