Un homme: Philip Roth
Publié le 4 Mai 2014
La vieillesse, la mort sont des éléments indissociables d'une fin de vie ordinaire. Se retrouver autour d'un cercueil pour un dernier adieu, se produit à chaque minute dans les quatre coins du monde. Mais face à la mort, les vivants restent seuls.
Dans un cimetière juif dans la banlieue New-yorkaise, des ex-femmes, des enfants, des frères et sœurs se recueillent sur la dépouille d'un être aimé ou haï. Le défunt, issu de l’immigration juive, ne laisse pas que des bons souvenirs à ses proches. Cependant, la cérémonie se déroule sans heurt. Les ex-femmes gardent un semblant de dignité. Le frère revient sur les anecdotes de son enfance où le défunt et lui travaillaient dans la bijouterie de leur père. La fille verse des larmes en se souvenant des citations mémorables de son père.
Cependant les plus beaux souvenirs sont ceux dévoilés par le défunt lui-même qui revient sur sa vie, ses errances, ses doutes et ses maladresses.
Philip Roth raconte la déchéance sur le ton de la confidence. Vieillir mot malfaisant qui pollue l'esprit de celui qui lutte contre sa fin imminente. Même durant ses cours de peinture, l'homme entouré reste indéniablement seul et en proie aux angoisses de sa propre décrépitude. Les collègues meurent dans la souffrance, d'autres se donnent la mort pour écourter ce calvaire.
La beauté du récit réside dans la dramaturgie des scènes. Le rythme se veut lent comme cette longue attente quand le corps ne répond plus et que l'esprit reste vif. Le combat en devient inégal. Doit-on sombrer dans la folie pour se résoudre à quitter cette terre promise? Philip Roth ne répond pas direct à la question; il pose des jalons pour entretenir une discussion sans fin.
Le texte débute sur un corps que les fossoyeurs descendent en terre et s'achève par la mort de l'homme enterré: la boucle est bouclée. La mort rejoint la mort. Durant tout le récit, cette notion de fin erre au dessus de chaque personnage. Personne n’écharpera à la sentence. Le cimetière juif s'unit au cimetière catholique car dans la mort la religion dépasse bien des frontières.
Ce roman n'est pas larmoyant : il plaque une vérité absolue et inéluctable qui parfois peut choquer le lecteur et parfois le détourner de cette vision de dépendance. Il parle aussi des relations entre les membres d'une famille et les répercussions sur des choix pris par envie ou par défaut. Il parle aussi d'amour et de compassion pour autrui. Il accentue aussi l'idée qu'une famille unie ne peut rien face à la mort.
L'homme reste seul et impuissant face à la maladie et la mort.
Voici quelques citations tirées du roman :
" Elle se tourna vers le cercueil et prit une poignée de terre; avant de la laisser glisser sur le couvercle, elle dit comme en passant, avec l'air d'une jeune fille désemparée : "Voilà, c'est la fin de l'histoire. Nous ne pouvons rien faire de plus, papa." Puis elle se rappela la maxime stoïque qu'il répétait lui-même, des décennies plus tôt, et elle se mit à pleurer. "On ne peut pas réécrire l'histoire, lui dit-elle. Il faut prendre la vie comme elle vient. Il faut tenir bon et prendre la vie comme elle vient."
"- Vous vous trompez, vous ne savez pas ce que c'est. La dépendance, l'impuissance, l'isolement, la terreur - c'est abominable, et c'est honteux. Quand vous souffrez, vous vous mettez à avoir peur de vous-même. Cette aliénation absolue, c'est terrible."
"S'il avait connu la souffrance mortelle de chaque homme, de chaque femme croisés pendant sa vie active, s'il avait connu leur douloureux parcours fait de regret, de deuil, de stoïcisme, de peur, de panique, de terreur, s'il avait découvert toutes les choses auxquelles ils avaient dû dire adieu alors même qu'elles leur étaient si vitales, s'il avait connu le détail de leur destruction en règle, il lui aurait fallu rester au bout du fil toute la journée et une partie de la nuit, à passer encore une centaine d'appels. Ce n'est pas une bataille, la vieillesse, c'est un massacre."